Maison d’enfance

« J’étais le plus jeune prisonnier de France. J’allais de ma chambre à la cour et de la cour à ma chambre. Je passais chaque été enfermé dans la maison, à arpenter le cloître des lectures, goûtant à la miraculeuse fraîcheur de telle ou telle phrase. Quand je voulais sortir, un ange me barrait la porte. Je renonçais à mon projet et retournais dans ma chambre. L’ange me fermait la vie. Je la retrouvais dans les livres. » Prisonnier au berceau, Ed. Mercure de France, 2005 p.13 

« Un ange m’accompagnait depuis toujours… Je lui devais la bienheureuse immobilité de mes années d’enfance, mon ennui des voyages (tout ce qui me déportait à plus de dix mètres de ma rue était déjà un voyage) et mon ravissement à la vue du jardin qui faisait face à ma chambre d’enfant. Ce jardin était si petit qu’il contenait tous les astres de l’univers et que Dieu, sous l’apparence d’un rouge-gorge, venait y tutoyer un rosier grimpant et, en les frôlant de ses pattes grêles, faisait trembler comme des lustres en cristal les grosses boules des hortensias. » Louise amour, Ed. Gallimard, 2004 

« Ma ville n’est pas plus grosse qu’une boîte d’allumettes. Dans cette boîte si je l’ouvre, je découvre un mur dont le sommet est arrondi et la peau granuleuse. Il ferme la cour où je joue enfant. Un deuxième mur est fait de l’explosion silencieuse d’un hortensia bleu. Un troisième est l’escalier qui monte en courant chez les voisins du dessus. Le dernier mur est mon visage, mes yeux, moi qui viens de pousser les volets de ma chambre et regarde dans le ciel tout le travail à faire en ce jour. » L’amour des fantômes, Ed. de l’Herne 2019 

« Enfant je ne sortais pas dans les rues du Creusot. Elles étaient des rivières qui menaient à l’usine-océan. Je restais dans ma chambre. Je vivais dans un monastère dont aucun roi n’aurait pu abattre les murs de papier. Nous prenons nos métiers, nos visages et nos puissances dans l’enfance. Nous n’en changeons plus ensuite. » Les ruines du ciel, Ed. Gallimard, 2009 

« Voilà ce que je vois de ma fenêtre. Ces arbres, ces maisons et ce ciel entrent depuis des années chez moi, teintent secrètement la feuille blanche où je vais écrire. » Paroles rapportées par Alain Bollery dans « Christian Bobin c’était Le Creusot », Alain Bollery, 2023.